Vanité de la puissance militaire US
Ou comment, par le fait, les États-Unis n'ont jamais remporté une guerre
Contrairement aux contes que se racontent bien d’Américains, l’histoire militaire de leur pays est l’une des moins glorieuses qui soient (aussi attristante que soit cette affaire de gloire militaire !), surtout mesurée, ces derniers temps, à l’investissement fait, par leur État, dans la grandeur militaire.
Techniquement, les États-Unis ont remporté quelques guerres, mais, en dehors, je crois, de l’invasion de quelques petits îles comme Hawaii, Haïti, ou Grenade, ces victoires sont toujours un peu douteuses en substance. Le prix véritable a souvent été payé par d’autres, et cela, dès le début. Les Américains n’auraient jamais vaincu les Britanniques lors de leur guerre d’indépendance sans l’intervention militaire française, sous les espèces des navires de guerre de l’amiral de Grasse. Adam Gopnik écrit dans un essai récent du New Yorker que « la Révolution américaine est, pour l’essentiel, un triomphe français que l’imagination américaine a changé en victoire américaine ». En 1812, alors que les Français napoléonisés étaient occupés à bouter le feu à l’Europe, les Britanniques, leurs principaux adversaires, eurent le temps d’organiser une petite campagne « on the side » pour rosser les Américains qui leur faisaient des niches du côté du Canada. Les Britanniques prirent Washington en août 1814 et incendièrent méthodiquement les bâtiments publics (Maison Blanche, Capitole…) en épargnant les résidences privées.
Les deux guerres mondiales furent des victoires américaines, mais remportées après que les autres puissances aient payé le prix du sang – les Franco-britanniques lors de la première guerre mondiale, les Russes lors de la seconde. Les pertes américaines furent relativement modestes et la véritable victoire du pays fut financière et politique, puisqu’à chaque fois il put modeler la paix grâce, précisément, au fait qu’il avait moins souffert et pu préserver ses ressources intactes.
Après la seconde guerre mondiale, les États-Unis se lancèrent dans la construction de la plus gigantesque force militaire de l’histoire de l’humanité, sur la base d’un complexe militaro-industriel qui fut tôt dénoncé par pas moins que… le président américain lui-même, en l’occurrence Dwight David Eisenhower, dans un discours prononcé à la fin de son mandat, en 1961.
En dépit de cette force budgétivore, les États-Unis n’ont jamais pu clamer victoire dans les guerres ouvertes qu’ils ont menées depuis lors, surtout lorsqu’on comprend que la victoire ne résulte pas seulement du fait de terrasser l’ennemi désigné – comme ce fut facilement le cas avec l’Irak de Saddam Hussein – mais du fait d’en tirer ensuite les fruits au plan politique. Le Vietnam et, aujourd’hui, l’Afghanistan, sont des défaites militaires et politiques ; les guerres d’Irak furent des victoires militaires mais des défaites politiques – puisque la double agression américaine en Irak s’est faite au profit d’un pays considéré ennemi, l’Iran, en plus de susciter Daesh.
(Et il faut considérer que dans toutes ces guerres, les Américains s’en sont pris en fin de compte à des pays du tiers-monde. On a du mal à les imaginer se mesurer à la Russie ou à la Chine).
Cette histoire de succès en demi-teinte et d’échecs pour le moins humiliants ne façonne pourtant pas l’image que les Américains se font de leur puissance. Cette perception de soi comme une puissance militaire irrésistible, combinée à un narcissisme naïf qui n’existe et n’a jamais existé à ce point chez aucune autre puissance prépondérante de ce calibre (mais peut-être la Chine, fidèle imitatrice des Américains dans ces voies douteuses va rectifier ce détail), les entraînera encore longtemps, j’en ai bien peur, dans ces mésaventures dont ils ne voient, il est vrai, jamais le prix, puisque le plus gros des dégâts est causé sur le lointain terrain d’action choisi comme cible.
Il est vrai que l’affaire afghane, avec ses degrés monumentaux de corruption en lien avec le complexe militaro-industriel (corruption qui dépasse de très loin celle dont s’est rendu coupable l’État Potemkine mis en place sous occupation américaine) fait soupçonner que l’objectif de ces guerres, au moins aux yeux de ceux qui, dans l’establishment américain, pèsent le plus pour leur déclenchement, est moins le triomphe national et la crédibilité internationale du pays qu’un enrichissement personnel stratosphérique, au prix du sang américain et étranger, et de la paix du monde.
Burning of Washington: Un incendie très discipliné