Une interview, une explication
Long silence, me disent les messages que je reçois en privé. C’est que, entre autres choses, je suis pris par:
(1) La mise en forme du premier numéro de GA et notamment la production de la version anglaise;
(2) La mise en route du second numéro qui aura en Vedette un essai sur les femmes et l’Afrique par une auteure nigérienne; en Vita un récit de voyage aux USA en 1987 par un auteur malien; en Lakkal, un Carnet de Route au Golfe de Guinée par moi-même et un co-auteur togolais; un essai sur les changements en Arabie saoudite par un auteur mauritanien; un essai par votre serviteur sur “Et si les Africains refusaient la décolonisation?” (titre qui reprend, comme on se le rappellera, celui du livre d’Axelle Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement?). L’argument central étant que les Africains (certains Africains, mais très influents) refusent, de manière parfois prononcée et déclamatrice, d’autres fois plus inconsciente, l’idée qu’ils sont ou peuvent être décolonisés parce que cela les forcerait à se prendre véritablement en charge et à se regarder en face. Je contraste ces gens d’aujourd’hui avec la génération de l’indépendance qui, elle, voulait réellement être décolonisée. Pour préparer cet essai, je lis donc (entre autres choses) les écrits de ce temps là, et notamment, ces jours-ci, le livre de Patrice Lumumba Le Congo terre d’avenir est-il menacé?
Plusieurs choses me frappent dans ce livre (qui, d’ailleurs, a une histoire assez particulière), et la plus globalement intéressante, c’est qu’il s’agit d’un livre de “gouvernementalité”, suivant la façon dont j’ai défini ce terme dans mon essai-manifeste de GA. À savoir donc un livre qui se penche sur les mille et un petit problèmes de vivre-ensemble qui caractérisaient le Congo société en transition, et préconisait des solutions parfois concrètes (par exemple, l’idée de la gratuité de la propriété foncière ajustée à une économie politique moderne en formation à laquelle ne doivent pas s’appliquer les règles en vigueur en Belgique, vieux pays bourgeois), d’autres fois de principe (au niveau des relations homme-femme par exemple), mais toujours ajustées au baromètre de la justice telle que, lui, Lumumba, personnalité attachante, la sentait et comprenait.
C’est intéressant que ce livre ne soit ni lu, ni cité. Oeuvre de gouvernementalité, il n’a évidemment pas la flamboyance et l’exaltation des grands textes révolutionnaires, comme ceux de Frantz Fanon ou de Kwame Nkrumah. Du coup, Lumumba existe plus comme martyr de la cause panafricaine que comme intellectuel africain. On l’admire parce qu’il a été tué par les Américains, cause d’admiration que, pour ma part, j’ai toujours trouvée douteuse. Ce texte prouve qu’il peut être admiré pour des raisons plus positives et en réalité, plus utiles pour nous, hic et nunc. Ce n’est pas un Lumumba pour révolutionnaires panafricains, mais bien un Lumumba pour le progrès réel de l’Afrique, particulièrement de l’Afrique congolaise. Sa visée, après tout, n’était pas tant de prendre la Bastille occidentale que de construire la maison Congo…
Et dans cette optique, cela veut dire qu’il faut aussi apprendre de ses erreurs d’architecte, ainsi que de celles de ses collègues de l’époque, ce qui est loin d’être le chemin pris par les intelligentsias africaines actuelles.
J’ai aussi été frappé par des menus détails, comme le fait que, dans le petit passage préliminaire où il parle de lui-même, Lumumba était particulièrement fier d’avoir su organiser ses compatriotes dans les syndicats où il était actif, et cela avec tant de succès que cela avait attiré des travailleurs belges dans ces associations. C’est ce type de fierté qui manque souvent (mais j’ai vu des exceptions dans le Golfe de Guinée) dans l’Afrique actuelle, c’est-à-dire celle qui nous pousserait à réaliser des oeuvres qui forceraient le respect des autres — au lieu d’exiger en criaillant qu’on nous montre du respect, comme le font de façon acariâtre notamment les juntes du Sahel. Le respect ne s’exige pas, il s’inspire. Si vous l’exigez, les autres peuvent en effet vous montrer du respect de manière performative, pour vous calmer, mais ils ne sentiront réellement du respect à votre endroit que si vous faites des choses qu’ils trouveront respectables. Et vous n’aurez même pas à l’exiger.
Bref, ces choses me prennent plus de temps que je n’aurai voulu. Il était prévu de les avoir finalisées ce mois-ci ou en octobre. Mais j’ai bien peur qu’il ne faille attendre au moins janvier 2025.
Parlant de Sahel: dans l’intervalle, il y aura sans doute des billets, mais j’imagine moins sur le Sahel intérieur, cette région des mauvaises nouvelles qui a quelque chose de pour le moins épuisant (mentalement et émotionnellement). Cependant, j’ai tout de même accepté de répondre aux questions d’interview du courageux périodique nigérien L’Autre républicain. On peut lire cela ici:
https://www.lautrerepublicain.com/2024/09/interview-exclusive-de-dr-rahmane-idrissa-lisolationnisme-a-deja-sinistre-les-economies-reelles-du-sahel/