Rückblick
Encore un Rückblick (“retour en arrière”), comme disent les Allemands, un retour dans mes archives. En 2002, j’ai travaillé en tant qu’assistant de recherche sur un projet assez déprimant, une collecte de données sur les tueries de masse en Afrique. La partie qui me saute aux yeux, en relisant cette note, je la mets en gras. Je pensais me tromper: hélas non. Et, going forward, cela va être pire. (À noter qu’à mes yeux, éducation ne se réduisait pas à l’instruction scolaire ou technique - elle impliquait aussi le fait d’être à même d’acquérir une conscience politique libre).
En train de faire de la collecte de données sur les tueries de masse en Afrique. Les cas les plus graves se trouvent, bien entendu, au Congo. Étrange pays, à la politique presque incompréhensible dans un sens, parce qu’il est difficile de tenir compte de tous les multiples détails essentiels qui en forment le tissu sanglant… Du reste, je dis « sanglant », mais ce n’est pas vraiment les carnages qui sont inexplicables. Ils viennent tout naturellement, hélas ! avec la guerre menée dans les conditions de ce genre. Non, c’est surtout la « haute politique », si je puis dire, ou ce qui en tient lieu. Je n’ai jamais très bien compris, par exemple, l’attitude de Mobutu, quand des forces supérieures aux siennes envahirent le pays, et qu’il se démena si malhabilement pour survivre, alors qu’il semblait avoir des portes de secours. En somme, un mauvais politicien, en dépit de sa longue carrière, ou plutôt un politicien sur le déclin, malade, fatigué…
Les rapports que je parcours ramènent les causes de la violence meurtrière à des choses « morales » comme l’animosité ethnique, ou matérielles, comme l’abondance d’armes, ou encore économiques, comme la compétition pour les richesses naturelles. Et bien entendu, toutes ces causes sont pertinentes, mais je pense qu’en aval, et avant tout, ce qui explique ces carnages, leur facilité surtout, c’est la disponibilité presque ridicule du matériau pour les accomplir, son faible coût, et le peu de prix qui lui est attaché : je veux parler de ces millions de jeunes hommes sans éducation qui peuplent les villages et les banlieues urbaines de l’Afrique, la chair à canon, ou à machette…
Bref, même à ce niveau, le problème central, comme toujours, comme d’habitude, est l’éducation. Jeunesse+ignorance+misère=guerre. Évidemment, point automatiquement, car tel n’est pas le cas des pays sahéliens par exemple, qui n’ont pas une structure démographico-économique différente de celle des pays en guerre. Il y a quelques autres ingrédients décisifs, qui sont particuliers à chaque pays…
D’autre part, il faudrait noter que ces guerres entrent dans le même schéma de dysfonctionnement qui existe en temps de paix, et qui fait que les États africains marchent à l’informel, pour peut-être 50 % de leur réalité propre. Rien ne l’indique mieux, peut-être, que la création de ces milices guerrières à partir de groupes de combat « traditionnels », qu’il s’agisse des Dozos mandingues du Liberia, ou des Interahamwe hutus du Congo, etc. C’est un peu de cette façon que nos États acquièrent plus d’autorité, en temps normal, en recourant cependant non pas, bien entendu, à des milices guerrières, mais aux institutions politiques qui ont survécu (par adaptation et « accommodation » comme dit l’anglais) à la révolution coloniale, comme les chefferies au Niger.