Répétition, suivie d'autres extraits diaristiques
Peut-être ne fait-on jamais que se répéter. Je découvre, dans le journal que je tenais, étant étudiant, en 1996, cette entrée qui est presque identique au billet “France dégage”. Preuve, en tout cas, de ce que ce fameux “sentiment anti-français” n’est rien de nouveau, comme je l’ai indiqué à maintes reprises… Je profite de cette plongée dans les vieux papiers pour mettre en épingle quelques choses vues, entendues, lues, pensées d’il y a quinze ans, à Niamey et ailleurs.
Carnet de 1996:
Une certaine catégorie de Nigériens s’imagine que « la France » a décidé de démolir le Niger en soutenant la rébellion des Sahariens. De cette imagination découle une manière de parler de la France qui rappelle curieusement la conceptualisation totalisante de l’Afrique que font bien d’Occidentaux. « Leurs socialistes ont financé l’achat d’armes… » entendra-t-on ; il y a quelques jours le gouvernement allemand s’est permis (bêtement, il faut le dire) de condamner « la répression du gouvernement nigérien à l’égard du peuple touareg. » Comme cette condamnation fut faite peu de temps après une rencontre Mitterand-Kohl, le bureau exécutif de l’union des scolaires nigériens nous envoya une circulaire à afficher dans le vestibule du pavillon [j’étais étudiant à Dakar], prétendant que Mitterand et Kohl s’étaient rencontrés dans le but unique d’en finir avec le Niger. Je ne pus m’empêcher d’éclater de rire en lisant ce curieux dazibao. Mais il s’inscrit parfaitement dans l’idée que « la France » est un système unique, clos, et dont toutes les manifestations et expressions procèdent de la même logique obstinément hostile au pauvre Niger. D’ailleurs je ne serais pas surpris de savoir que certains béjaunes du parti socialiste français parviennent à transférer des armes à Mano Dayak ou que Mitterand a effectivement demandé au gouvernement allemand de calomnier le Niger. Il n’en reste pas moins que la France (ou plutôt le gouvernement français) n’a nullement l’intention de démolir le Niger.
De même, à la paranoïa anti-impérialiste des Nigériens et des Africains, s’oppose une paranoïa européenne insuffisamment définie, la paranoïa anti-barbares, qui se représente l’Afrique comme ce monde clos de la déficience absolue, saisi de la volonté obscure de recommencer les invasions barbares de la chute des Romains.
Extraits Journal 2006-2007:
Tifinagh et chameaux:
(25 novembre 2006). D’un jeune artisan Touareg à qui je demandais s’il savait écrire le Tifinagh. Réponse (en zarma) : « Non, moi, tu sais, ces histoires de tradition… » (Voici la phrase zarma : Ay wo ni bay tradition harkay din… ) Jusqu’où ne retrouve-t-on pas ce dualisme ! Il est bien moderne en ceci qu’il use du mot – et du concept – français même à l’intérieur du zarma, et on voit alors combien, avant d’être une espèce de réalité, la modernité est une idéologie (mais j’insiste sur le fait qu’il parle zarma surtout parce que cette langue, contrairement au haoussa, n’a aucun scrupule à intégrer des mots français pratiquement sans les changer.) N’est-ce pas, du reste, une marque de modernité de savoir lire et écrire ? Et pourtant, il méprise un système d’écriture alors qu’il n’en maîtrise aucun (il ne lit ni n’écrit le français, qui est l’univers du « moderne »). Je lui demande – puisqu’il rejette le Tifinagh dans les vieilleries – si son père sait l’écrire : « Peut-être, mais je n’en suis pas sûr… » Et sa mère ? « Oui, elle, oui, elle est très dans ces trucs de tradition… » Je hoche la tête : ah ! Les femmes, gardiennes de la tradition. Mes questions lui font soudain faire réflexion sur le fait que le Tifinagh aurait été inventé comme « la langue des chameaux », cela aurait été « amené par les chameaux ». Je ne comprends pas d’abord, mais il s’explique mieux, et prétend que c’était à l’origine un système de comptage, quelque chose qui permettait de dénombrer et gérer les chameaux (par quoi il faut sans doute entendre les biens matériels d’échange, la richesse… En songhay-zarma par exemple, le vieux mot pour « richesse », alman, est le mot pour « bétail ».)
Les spécialistes de la chose disent aussi que les premiers systèmes d’écriture connus, les cunéiformes de la Mésopotamie, étaient à l’origine des systèmes de comptabilité commerciale.
Inventeurs nigériens:
À la télé hier, un reportage sur des inventeurs nigériens qui ont eu deux médailles d’or et deux d’argent à une grande foire aux inventions, récemment tenue à Budapest. Ils ont inventé notamment une machine à monter automatiquement une moustiquaire, une autre destinée à incinérer proprement les déchets plastiques (le cancer des paysages urbains par ici) et une autre capable de ratisser le sable pour laisser les rues propres. Je me souviens que l’année passée, un ingénieur me parlait de ses plans pour une machine permettant de griller la viande à l’abri des mouches. Les lauréats de ces médailles, qui travaillent dans des locaux demi-ruinés de l’université de Niamey (le gouvernement ayant réduit au minimum proche de zéro les crédits pour la recherche), ont une petite association qui s’est promise de créer un concours annuel de l’invention, et de décerner des diplômes aux inventeurs comme à ceux qui les encouragent.
Leurs machines sont d’une utilité évidente pour l’hygiène locale. Les déchets plastiques, par exemple, sont actuellement incinérés à l’air libre, augmentant la pollution d’un air déjà sali par les carburants de douteuse qualité, la poussière omniprésente, les émanations des égouts à ciel ouvert et autres gracieusetés des très inutiles mairies de Niamey. Mais il est probable qu’elles resteront parquées comme pièces de curiosité dans leur arrière-cour. Aussi bizarre que cela paraisse, l’actuel gouvernement du Niger rejette officiellement la recherche et le savoir. Du moins, le président, un vieux militaire à la retraite dont l’éducation n’est guère allée loin, et qui se prend pour un notable illettré de la ville de Kano (il parle haoussa avec le plus pur accent de cette ville là), ne manque pas une occasion pour dire de sa voix lente et quelque peu bébête que « ba mu son dogon ilimi », « nous n’aimons pas le savoir trop approfondi ». En un sens, certes, cela veut dire qu’il prône le savoir technique, le savoir d’application – mais en fait, ces positions extravagantes ont créé une mare d’anti-intellectualisme dans quoi croupissent la plupart des ministres… Le président et ces inventeurs appartiennent en tout cas à deux mondes radicalement différents, et malheureusement pour tous, il a sur eux un pouvoir qu’ils n’ont pas sur lui.
Bêtise de Sevran et colonialisme:
[Note d’aujourd’hui : Genre de choses qui explique pourquoi les Occidentaux et les Français horripilent si aisément les Africains] Pascal Sevran, individu apparemment bénin qui présente une émission de télévision d’assez mauvais goût en France a publié un livre dans lequel il dit, entre autres gracieusetés, que « la bite des Nigériens » est à l’origine de la dernière famine et qu’on devrait « stériliser au moins un quart de l’humanité ». Le journal Le Républicain a reproduit ces propos texto, y compris les nombreuses allusions à la bite proliférante et criminelle des gens en Afrique. À la télé, hier soir, le porte-parole du gouvernement a lu une protestation, citant d’autres passages du livre où le Niger est comparé à un cimetière produit par une copulation effrénée, et il a émis une protestation contre cette attaque à l’encontre du « peuple paisible et islamique » du Niger.
Les gens ne connaissent pas Sevran par ici. « Mais qui c’est celui-là ? » me demande-t-on. « Un journaliste populaire qui a écrit un livre, une sorte de leader d’opinion donc », expliqué-je.
Ma mère : « En tout cas il a raison de dire qu’on fait trop d’enfants ici, mais pourquoi être aussi ordurier ? »
Mon ami Kd : « Mais pourquoi s’en prend-il au Niger ? »
Moi : « Parce qu’on a eu la famine en 2005. »
Lui : « Ah, la famine… » (Sous-entendu : « on n’a pas fini d’en entendre parler. »)
Sevran s’inscrit dans une mode française, pas nouvelle d’ailleurs, mais qui est revenue en force, de dire « leurs quatre vérités » aux gens du Sud. Il y avait Michel Houellebecq, déjà. Et puis Stephen Smith.
D’ailleurs c’est contradictoire, ce discours : hier on nous dit, vous allez tous disparaître avec le sida et autres maladies ; aujourd’hui on nous dit, vous êtes trop nombreux, et c’est pour cela que vous allez disparaître. Enfin, on ne peut pas vraiment argumenter avec ces gens.
C’est curieux en tout cas ce propos sur la démographie et la famine. On ne peut pas vraiment répondre à Sevran, en tout cas moi. On a des perspectives diamétralement opposées. Tandis qu’il a l’impression qu’il y a trop de monde au Niger, moi je me dis plutôt : « Mais comment ce fait-il qu’on ne parvienne pas à améliorer les conditions de vie d’une aussi petite population ? » Car onze millions, c’est à peu près la population de l’agglomération parisienne. Soit dit en passant, comme la seule loi qu’on a l’impression de voir en démographie est que plus on est aisé, moins on fait d’enfants, les deux questions sont peut-être liées. Mais pour moi, c’est la première qui me préoccupe. Ou en d’autres termes, je n’expliquerai pas, pour ma part, la famine par la démographie. Les deux phénomènes sont le résultat de la révolution coloniale et de ses suites. Je sais qu’une telle phrase, en 2006, est choquante : il paraît qu’il ne faut plus mettre tous nos problèmes sur le dos de la colonisation [Note d’aujourd’hui: vérité de 2006]. Mais peu importe : on ne peut rien comprendre à ces affaires si on ne passe pas par là, et tant pis pour le sarkozisme.
Lisez plutôt : « On a d’ailleurs surfait les horreurs de l’ancien régime… Pendant la famine de 1898-1899, le sultan ravitailla ses sujets ; en 1914, vous les avez laissés crever. Les Arabes avaient reconnu aux captifs des villages-refuges que vous avez supprimés. Point de laissez-passer jadis ; point de permis de chasse ; point de villages contraints à vivre sur le roc, loin des puits, parce que la route y passe… Que la mainmise fut moins lourde, nul doute : à notre arrivée, que de grands villages, peuplés, riches en bétail, en réserves de mil. Ils ont diminué, disparu. » (Denise Moran : Tchad. Paris, Gallimard, 1934, p. 230) « La disparition des réserves, le prélèvement d’une partie même du minimum nécessaire à assurer la subsistance des populations par les moyens les plus divers, a pour conséquence la disette annuelle au moment de la soudure… L’administration attribue cette situation à l’« imprévoyance » du paysan et s’engage à partir de 1910 dans la création de « sociétés de prévoyance » destinées à assurer aux cultivateurs au moins les semences nécessaires. Mais, très vite, les administrateurs y voient le moyen de donner plus d’aisance à leur trésorerie, en disposant de fonds provenant de cotisations obligatoires. Le dénuement auquel on a réduit les populations les met à la merci de la moindre crise, d’ordre naturel ou social : de la disette périodique, on passera à la famine brutale, à la catastrophe. » (Jean Suret-Canale, Afrique noire. L’ère coloniale, 1900-1945. Paris, Editons sociales, 1962, p. 170) Du même : « La « Conférence économique impériale » de 1935, en même temps qu’elle consacre la fin de la liberté des échanges extérieurs, interdit virtuellement aux colonies toute transformation de leurs matières premières, donc tout commencement d’industrialisation. » (p. 366).
« Les très faibles moyens mis en œuvre par l’investissement capitaliste ont été appliqués non aux progrès de la production, sur le terrain technique, mais pour l’essentiel, à l’extraction de profits élevés sans que la technique précoloniale ait été modifiée, donc principalement par l’intensification du travail des populations.
Il en résulte un déséquilibre croissant entre les techniques (moyens et méthodes traditionnels de travail des populations, travail agricole principalement) et les exigences de production qui réclament, en plus du minimum nécessaire à assurer la subsistance des populations, des quantités de plus en plus élevées de produits d’exportation. » (p. 369).
Bon, c’est un jeu facile, et ceci n’est même pas le plus horrible, mais ce qui indique le mieux la mise en place d’un nouveau régime économique que les indépendances n’ont nullement démantelé, et que la langue haoussa appelle Mulkin Mallaka, le gouvernement de l’écrasement (c’est le nom haoussa de la colonisation). Bien entendu, il y a eu un changement : les conditions de l’écrasement ayant été structurellement implantées, sont encore actives, mais elles fonctionnent maintenant à perte même pour les Français qui en étaient les bénéficiaires, mais qui comme le rappelle Sarkozy, n’ont plus aujourd’hui besoin de l’Afrique (encore que, si on y regarde bien…).
En attendant, les Européens du type Sevran, Sarkozy et Smith ne veulent plus qu’on rappelle ces conditions et leurs origines, parce que cela les mettrait mal à l’aise. Ils préfèrent moraliser contre les Africains : « Fermez vos braguettes, bon sang ! » Cela peut paraître anodin : mais en fait, c’est une version quelque peu vulgaire de toute l’approche actuelle du travail de « développement » en Afrique, une approche essentiellement moralisatrice, focalisée non pas sur les structures, mais sur les comportements. Prenons l’exemple du code rural, dont l’idée vient des Occidentaux : apparemment il s’agit essentiellement de trouver les moyens de mettre fin aux querelles foncières en amenant les ruraux à se comporter différemment les uns avec les autres, de façon moins brutale et plus procédurière. Tout cela a beaucoup d’implications, mais on sent que l’impression de départ qui a mené à la pensée du code rural est que tout le problème viendrait de ce que les paysans africains sont hargneux et « conflict-prone ». On est fort loin du nœud du problème, le déséquilibre des conditions de vie, lié aux structures implantées encore une fois, oui, par le mulkin mallaka. Il est fascinant et quelque peu terrifiant de parcourir l’histoire de l’énorme désordre foncier créé en Afrique par le régime colonial, on n’a pas idée : mais je ne m’appesantirai pas là-dessus. Le plus frustrant est plutôt de voir comment les modes d’exploitation des sols auxquels on en était arrivé après des siècles d’expérience, et qui permettaient, à travers une pression légère sur des sols très fragiles (les sols des pays tropicaux sont plus fragiles que ceux qui prédominent en pays tempérés et surtout contiennent moins d’éléments chimiques favorables aux cycles culturaux), de créer une abondance relative gérée par un système de redistribution très complexe et relativement équitables, ont été détruits en quelques années (souvent moins d’une décennie) pour être remplacés par des expérimentations idiotes destinées le plus souvent à spolier les populations. Le progrès technique permettant de créer de nouveaux modes de culture tout en préservant les sols était et reste possible, mais il y fallait des investissements que le colonisateur ne voulait pas faire (le principe de la colonisation est resté jusqu’à la fin de compenser la faible productivité impliquée par des techniques dépassées par des marges bénéficiaires léonines réalisées grâce aux bas prix de vente imposés au paysannat africain, ainsi qu’au travail forcé – toutes choses qui ne me semblent guère avoir changé aujourd’hui) et que personne ne semble capable de faire aujourd’hui.
Bref, dans des régions comme le Niger où les conditions de l’agriculture tropicale sont encore plus sévères qu’ailleurs, il faut absolument résoudre le problème du rendement avant de penser à un code rural ou d’autres trucs « suprastructuraux » comme diraient les marxistes. Ce problème est techniquement soluble, mais pas politiquement, dans les conditions du monde actuel. On se fera donc longtemps encore insulter par les Pascal Sevran du siècle.
Mais pourquoi est-on obligé de toujours répéter ces choses ?
Misère des ONG:
(Ce qui suit est un fragment de « journal de terrain », i.e., un journal que je tenais à l’époque où je travaillais sur ma thèse, en 2007 donc).
S. m’annonce qu’une grande ONG occidentale dont à son avis le travail était ou aurait pu être très utile va fermer parce qu’elle ne parvient pas à contrôler la gabegie qui l’empêche d’obtenir des résultats. Curieusement peuplée de Congolais DRC, aux étages supérieurs, dont plusieurs arrivés là par manière de népotisme ou copinage et qui, selon lui, non seulement détournaient l’argent, mais ne travaillaient pas (ils n’avaient même pas été capables de monter un programme d’action). Les enfants de Mobutu ? En tout cas ils n’étaient pas les seuls : aux étages inférieurs, il y a principalement des Nigériens, dont beaucoup arrivés là non par compétence, mais par copinage, et qui, incrustés dans la vie sociale locale, parasitaient le fonctionnement de l’ONG par des attaches et des intérêts qui lui sont extérieurs. Toute l’histoire est caractéristique de la nature des ONG occidentales: ce sont des entreprises humanitaires fortement capitalisées et organisées pour produire quelque chose qu’on pourrait appeler Développement, et qui consiste en une transformation des conditions de vie d’une population dans plusieurs domaines. L’ONG est donc une sorte de firme, dont le rendement est simplement l’amélioration des conditions de vie matérielles d’une population – et cela est particulièrement frappant dans le cas de cette ONG précise, dont l’action est très technique, et peu moralisatrice. Mais le paradoxe de l’ONG, c’est qu’elle est une firme fonctionnant avec une culture qu’on pourrait grossièrement appeler du « secteur public ».
Les petites gens, ici, ont appris à considérer les ONG occidentales comme des entreprises (c’est ce qui, d’ailleurs, a initialement attiré mon attention sur leur aspect « firme »). Sous cet aspect, ils les appellent « projets », parce qu’en effet, en tant que firme, l’ONG s’attelle à mener à bien un projet : c’est-à-dire à exécuter un certain travail pour un certain profit (lequel a la particularité d’être un profit désintéressé, puisqu’il s’agit simplement du « bien être » d’une population). L’ONG fonctionne en particulier comme une entreprise de traite. C’est un cas exemplaire de ma théorie selon laquelle le Développement n’est pas l’anti-thèse du Sous-développement ou de la paupérisation (il faudra vraiment trouver un autre concept plus intelligent que ces deux là, plus analytique, je veux dire), mais aussi un de ses effets. Une « vraie » firme fonctionne comme une entreprise capitaliste développée, créant un certain type de richesse et de pauvreté, et tâchant de durer et de s’agrandir en s’adaptant à un certain environnement économique jusqu’à la faillite ou à l’absorption par une autre firme. Il existe, bien entendu, des firmes de ce genre en Afrique, la plupart aussi d’origine occidentale. Les firmes humanitaires, parce qu’elles travaillent au plus près des populations (et non en se limitant au « secteur moderne » comme les « vraies » firmes), retrouvent les vieux rythmes de l’économie de traite : leur fonctionnement est vraiment conditionné par la paupérisation. Il s’établit du coup entre elles et les populations des relations de style curieusement colonial (bien que la finalité fût inverse de celle des anciennes compagnies de traite). Dans l’économie de traite, au temps colonial, les compagnies avaient un rythme de type « systole-diastole » Pendant la campagne de traite, c’est la diastole, les « produits » remplissent le système de la compagnie et remontent vers les ports pour l’export ; ensuite c’est la systole, où la compagnie se contracte sur les populations pour leur vendre les « marchandises » de l’import. « Produits » et « marchandises » appartiennent au vocabulaire de l’économie de traite, les premiers étant simplement ce que vendaient les Africains à bas prix et les seconds ce qu’on leur vendait à prix élevé, et les deux mots expliquent à eux seuls comment l’Afrique est devenue pauvre, i.e., inapte à former de gros capitaux adaptés à l’économie capitaliste moderne (Bien entendu, il faut ajouter à ce fait que l’économie de traite n’était pas une modernisation des structures économiques locales, comme le fut l’économie capitaliste proprement dite en Europe, mais qu’elle favorisa d’une façon assez nette le maintien des aspects anciens et dépassés de ces structures, tout en substituant, pour ses besoins, son maillage commercial aux leurs. Ce fut là, la perversion). L’économie de traite a produit la paupérisation, dont elle vivait : les ONG, elles aussi, pour lutter contre la paupérisation, doivent se greffer à elle, au risque d’en vivre et de la perpétuer. Cas bizarre du remède contaminé par le mal…
Les ONG, firmes humanitaires, essaient de pénétrer des rythmes économiques légués par le passé précolonial telles que modifié et amoindri par l’économie de traite : campagnes agricoles, campagnes nomades, disettes et marchés – afin d’en accentuer l’efficacité et d’en fructifier le potentiel. Mais cela se fait sur des critères de crise, à l’occasion d’une guerre ou d’une famine ou de quelque autre catastrophe – et cela se fait donc à travers des projets destinés à réduire les effets de la catastrophe. La vraie campagne n’est pas ici, comme dans l’économie de traite, celle des produits, mais celle des catastrophes. L’humanitaire l’emporte sur l’économique. Les habitants voient donc les ONG de deux façons différentes : comme une entreprise éphémère offrant des emplois bien payés à très court terme (i.e., pas de possibilité de carrière comme dans une « vraie » firme, et partant, pas de loyauté envers l’ONG) et comme – pour ceux qui reçoivent ou sont censés recevoir son assistance – une puissance publique aux desseins bienveillants mais capricieux (leurs projets ne durent guère, et ils sont fondés sur des instructions et des réquisits issus d’une pensée étrangère, par exemple, au Niger, ignorante des instructions et réquisits de la pensée islamique). Les ONG dépendent d’ailleurs, pour leur financement, du cycle des catastrophes.
Il est difficile qu’une telle entreprise marche – c’est-à-dire, produise des résultats en accord avec son intention, qui est d’ailleurs modeste. Cela est aussi frappant dans les ONG : la mobilisation d’énormes capitaux pour des projets relativement étriqués, au vu des problèmes à résoudre. Mais même ces projets étriqués ne sont guère parachevés…
Les ONG reproduisent une autre caractéristique des firmes capitalistes : surpayer les patrons et utiliser finalement une main d’œuvre prolétaire. Par exemple, l’ONG dont je parle offre des salaires et des avantages faramineux aux patrons (des expatriés européens et d’autres pays africains) et aux sous-chefs des antennes locales (des Nigériens), et finit par employer les moniteurs ruraux nommés par l’Etat nigérien à l’époque développementaliste et donc vivotant d’un salaire de misère, mais possédant une longue expérience des campagnes et un dévouement réel pour l’amélioration de leur sort (ces moniteurs voient certes leur sort aussi amélioré par des perdiems, et au lieu de toujours parcourir les campagnes sur des vieilles bécanes, il leur arrive maintenant de circuler en passagers dans des 4X4 climatisées : voilà ce qu’on peut dire sur ce chapitre). Donc en effet, l’ONG relève du secteur public : on l’appelle organisme non gouvernemental parce qu’elle essaie de gouverner en substitution au gouvernement. On n’aurait pas insisté sur son caractère non gouvernemental si son but avait été clairement différent de celui du gouvernement – et du reste, elle finit par devenir nolens volens gouvernementale, puisqu’elle s’active dans un domaine qui est ou devrait être du ressort principal ou exclusif de l’Etat. S., par exemple, me rapporte comment la préfecture d’une des régions où intervient l’ONG en question envoie tranquillement un factotum faire des centaines de photocopies à l’antenne de ladite ONG, comme si cette dernière était en effet un démembrement de l’Etat – ce qu’accepte ladite antenne, puisqu’elle utilise en effet, pour certaines de ses interventions, les services des gens de la préfecture ou autres personnes liées à l’Etat. La préfecture n’enverrait pas faire des photocopies à l’agence locale de la Banque Ouest Africaine de Développement ou de Celtel Niger, pas plus qu’elle n’essayerait de réquisitionner des 4X4 climatisées avec ces sociétés, comme elle tâche de le faire avec les ONG. Les populations voient bien que l’ONG est une organisation étrangère, puisqu’on y voit quantité de Blancs et de Noirs « du dehors » ; mais en même temps, elles la voient très mêlée aux activités du préfet, et certaines de ses réalisations sont inaugurées en grande pompe par un ministre (dont le but, précisément, est de les mettre au crédit du gouvernement). C’est très ambigu.
Et cela se voit dans beaucoup d’autres choses.
Soit dit en passant, je ne voudrais pas paraître faire l’apologie du « privé » aux dépens du « public ». Il est vrai que le fait est frappant : alors que la corruption en Afrique semble si répandue qu’on en fait, pour faire plus simple, un trait culturel, on se rend compte pourtant que, pour des raisons mystérieuses, elle n’atteint pas le privé. Du reste, je ne sache pas que les gens qui analysent ou pontifient sur la corruption en Afrique s’attardent sur ce contraste, sinon pour dire, néo-libéralement, qu’il faut tout privatiser. Je parle bien entendu du privé formel : de même que les ONG en question sont du public formel, ou du moins du parapublic formel. Mais le privé n’est rien sans le public. Précisément, l’une des raisons principales pour lesquelles il est difficile de développer le secteur privé en Afrique tient aux déficiences du secteur public. L’analyse néo-libérale penche pour substituer le privé au public (et pas seulement en Afrique d’ailleurs), tandis qu’une analyse plus réaliste et moins idéologique verrait qu’il faut renforcer le public pour renforcer le privé – et cela d’ailleurs encore plus particulièrement sur un terrain aussi désordonné que le nôtre. Les règles de développement du public sont cependant trop complexes pour un point de vue aussi strictement économiste que celui des néo-libéraux. Cela inclut par exemple la création d’un nationalisme. Les moniteurs ruraux dont j’ai parlé, et beaucoup de fonctionnaires d’un certain esprit, sont efficaces ou ont le désir de l’être par nationalisme, ou souci du « bien public ». Or un tel souci ne peut guère être approché par l’économisme, il relève de l’affectif et de l’imaginaire…
(Note d’aujourd’hui : ceci n’a pas trouvé son chemin dans la thèse).
À la bibliothèque du CCA:
Lis les essais de James Baldwin, dans la belle collection (non dépourvue de coquilles cependant) de Library of America. Baldwin ne semble parler que des relations raciales : toutes ces dizaines d’essais ne sont consacrées qu’à cela, ce qui fait un peu obsessif, mais permets aussi à Baldwin d’atteindre une subtilité extrême dans l’exposition et l’analyse desdites relations. Selon lui, notamment, cette obsession est très américaine, les Américains, en fait, ne pensent qu’à ça, de façon intermittente mais inannulable. Cette obsession prend une forme palpable au cours du moindre rapport occasionnel entre un Noir et un Blanc. Baldwin l’explique de cette façon (je traduis): « … disons que j’ai un ami qui vient de trucider sa mère, et qui l’a placée dans une armoire, et je le sais, mais nous ne devons pas en parler. Eh bien, cela veut dire que très vite, puisqu’après tout je sais qu’il y a ce cadavre dans l’armoire, et il sait que je sais, et nous sommes là assis à boire un verre et à tâcher de faire copain-copain, très vite nous nous trouverons incapables de parler de quoi que ce soit, puisque nous ne pouvons parler de ça. Quoi que je dise, je pourrai accidentellement trébucher sur ce cadavre. » (Nobody Knows my Name, in Collected Essays, The Library of America, 1998, p. 228) Pour Baldwin, ce cadavre crée une certaine incohérence d’être qui définit le fait d’être américain. Je l’ai souvent senti, aux Etats-Unis, exactement de cette façon là, et avec d’autant plus d’acuité sans doute, ou d’autant moins de recul, que c’était pour moi une chose presque inconnue. Beaucoup d’Africains vivent une expérience similaire et à cause du manque de cette subtilité que donne l’habitude, interprètent cela de façon excessive, dans un sens comme dans l’autre (soit en en boursouflant l’importance, soit, comme moi, en l’émoussant).
Il y a quelques jours, je suis allé rendre visite au directeur du centre culturel américain d’ici, en ma qualité d’ancien boursier Fulbright. L’idée était pour moi d’offrir mes services au cas où ils auraient besoin d’un Nigérien qui voudrait parler de son expérience aux candidats. Le directeur – un Américain blanc énergiquement aimable – me fit un long discours un peu convenu, et puis m’expliqua qu’il n’y a pas longtemps, une ancienne Fulbrighter avait aussi proposé ses services et avait parlé de son expérience aux candidats. Mais avant de parler, me dit-il, elle l’avait pris en aparté pour le prévenir du fait qu’elle mentionnerait également les aspects négatifs de son expérience américaine – « et je lui dis que bien sûr, puisque nous ne prétendons pas, n’est-ce pas, être une société parfaite, je crois sincèrement que l’Amérique est un pays qui a beaucoup à offrir et à partager de valable avec le reste du monde, mais nous ne sommes pas parfaits, et je le lui ai dit, car l’idée n’est pas qu’on fasse de la propagande, nous tenons à la liberté d’expression, et donc elle fit part de son expérience négative, ce qui montre bien que nous permettons en fait aux gens de s’exprimer là-dessus et donc c’est finalement positif, et puis ce qui rendit la chose intéressante, c’est que des gens dans l’assistance firent remarquer qu’au Niger aussi il y avait de la discrimination, et que ce n’était pas seulement qu’un problème américain… » Tandis qu’il parlait, au début, j’avoue que je m’étais mis à bâiller intérieurement devant ces platitudes sur la liberté d’expression, et c’est seulement là que je compris que ce dont il était vraiment question à travers l’euphémisme « aspects négatifs », c’était le fameux cadavre dans le placard. Nous y avions donc accidentellement trébuché. Ou plutôt, le directeur s’était senti irrésistiblement attiré par le cadavre, parce que mon apparence l’évoquait irrésistiblement. Il s’aperçut sans doute, à l’éclat soudain plus vif de mon regard, que ça y est, on avait parlé de ce dont il ne fallait pas parler, et il acheva précipitamment sa phrase pour changer de sujet.
Du reste, à mon entrée dans son bureau, il lisait le journal As-Salam, et comme j’étais en compagnie du bibliothécaire, il l’interpella pour savoir s’il y avait les ouvrages de Malcolm X dans la bibliothèque, parce que As-Salam appelait Malcolm X un « héros oublié des Etats-Unis ». Je compris ensuite qu’il aurait voulu me voir réagir sur la question. Sur le moment, j’avais simplement trouvé ses propos amusants. Rien, sans doute, ne montre mieux la superficialité de mon américanisation que la faiblesse de mon odorat lorsqu’il s’agit de sentir l’odeur du cadavre du problème racial…
Sur Boubou Hama:
C’est curieux. Je suis revenu de Ouaga – où j’ai cherché en vain le dernier Ki-Zerbo, Et demain, l’Afrique – avec l’intention de trouver des Boubou Hama. Un bouquiniste à l’Hôtel des Postes veut me vendre un vieux Bi-Kado à 10 000F. Il m’écoeure tellement que je m’en vais sans discuter – mouvement d’humeur que je regrette, mais qui tient au fait que je devais être traité, de mon point de vue, avec la révérence qu’on doit aux vieux clients (je lui ai déjà acheté plusieurs livres). Je vais, le lendemain, à la Librairie Chrétienne, une minuscule librairie située non loin du Grand Marché (remarqué que presque toutes les librairies que je connais en Afrique sont des librairies chrétiennes situées non loin du grand marché local : Clairafrique à Dakar est non loin de Sandaga, Jeunesse d’Afrique à Ouaga est non loin du grand marché, et la Librairie Evangélique de Maradi est de l’autre côté de la rue, par rapport au grand marché de Maradi) et y trouve une grande quantité de livres de Boubou Hama sur les « problèmes brûlants » de l’Afrique (J’achète le T. 2, Changer l’Afrique, et le T. 3, Prospective – le T. 1 n’étant pas disponible – ainsi qu’un autre volume intitulé Les Grands problèmes de l’Afrique des Indépendances : Boubou Hama est le seul écrivain africain qui a écrit et publié si abondamment qu’on peut ignorer les titres de la plupart de ses œuvres.) Mais voici qui est plus curieux : ce matin, je me rends à la Chambre de Commerce pour interroger un officier de douane sur le commerce de transit de Maradi avec le Nigeria – mais avant, je voulais aller aux toilettes. On m’indique une sorte de couloir ouvert qui mène vers une arrière-cour silencieuse et déserte où se trouvent les toilettes. Le local des toilettes est occupé, mais je me rends compte que l’arrière-cour sert aussi de dépotoir pour la salle de documentation de la Chambre, qui y a entreposé (si l’on peut dire) de vieux documents dans des cartons, poussiéreux, couverts de feuilles mortes et autres débris naturels et manifestement destinés au feu. Je me mets à fouiller dans les cartons en attendant que les toilettes se libèrent, et je tombe sur un épais Boubou Hama (560 pages) intitulé Enquête sur les fondements et la genèse de l’unité africaine – encore un titre que je ne connaissais pas. Le volume est beau, très illustré (cartes, dessins, photographies, schémas) et on y trouve du tout : des commentaires historiques et ethnographiques, des principes de divination, des espèces de récits politiques – c’est le principe du mélange des genres, ou peut-être du refus des genres, propre à l’écriture de Hama, et que je suis parfois tenté d’imiter. On passe incessamment de l’histoire à la fiction à l’étude anthropologique, etc., je crois parce que Hama est resté essentiellement un homme de la civilisation orale, et que ses textes sont en fait des écrits orographiques, guidés seulement par une sorte de sérieux tranquille fondé (en ce qui concerne cette série de livres sur quoi je tombe en ce moment, peut-être guidé par ses mânes !) par la foi dans le destin de l’Afrique noire.
Il y a une très belle et très intelligente introduction, que j’ai lue à déjeuner, signée d’un A. Seydou (qui est-ce ?), qui est la meilleure « situation intellectuelle » de Hama que j’aie lu à ce jour. En ce qui concerne la question de l’unité africaine, Seydou décrit Hama essentiellement comme un réaliste, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est ni un révolutionnaire, ni non plus un modéré. Il égratigne poliment mais clairement les « révolutionnaires » Cheikh Anta Diop, Sékou Touré et Kwameh Nkrumah : « Mais il se trouve… que cet idéal d’une Afrique totale sentie comme nécessité n’est pas toujours abordé avec la sérénité et le sérieux que réclame l’ampleur d’une telle entreprise ; à son sujet, une certaine espérance impatiente s’inspirant de l’ordre du désir plutôt que de celui des réalités a transfiguré une nécessité historique en simple slogan. Aussi l’unité africaine a-t-elle plus de doctrinaires a-prioristes que de vrais penseurs, encore moins de maîtres d’œuvre », écrit-il, et on ne peut s’empêcher de penser aux radicaux sénégalais, guinéen et ghanéen – mais il poursuit, contre les « modérés » et autres : « Ce qui est écrit dans des études comme « Le conscientisme », dans des professions de foi comme « L’Afrique doit s’unir », « L’expérience guinéenne et l’unité africaine » est digne de l’attention de tout Africain conscient des exigences du destin de l’Afrique. » La marque de Hama est qu’il sait cependant s’inspirer « sincèrement de la réalité » en évitant de « distraire les masses ». Je suis assez d’accord avec cette caractérisation de sa perspective, dans ce domaine : « Il n’y a de véritables artisans de l’unité africaine que ceux là qui, du paysan au dirigeant de l’heure, s’attachent à demeurer sincères avec eux-mêmes, envers les véritables aspirations des peuples, non point donc de cette sincérité non instruite qui ne serait que naïveté, impardonnable en politique, non point de celle-là qui ne serait que ruse et cynisme calculé, mais de cette sincérité fondée sur l’appréciation exacte des réalités humaines. » De cette façon, Hama est l’auteur d’une « philosophie africaine de l’Histoire », incapable de fanatisme à cause d’une vision qui lie « la mémoire de son passé, la passion de son avenir et la conscience exacte de ses réalités présentes » (le fanatisme étant toujours lié soit au culte du passé – chez les conservateurs doctrinaires – soit au culte du futur – chez les révolutionnaires doctrinaires. Je suppose qu’on peut dire, par ailleurs, que le culte du présent mènerait alors au contraire du fanatisme, l’opportunisme pur, qui est tout aussi destructeur). Pour Seydou, la pensée de Hama est marquée par le souci de l’homme concret – africain, et à travers lui, universel : « Ce qu’il faut sauver d’abord de tous les impérialismes, de toutes les menaces, c’est l’Homme africain. Mais l’Africain sauvé ne se repliera pas sur lui-même, dans l’univers clos de la massive Afrique pour se délecter d’un nationalisme fermé ; il deviendra ce qu’il a toujours voulu être, aux moments les plus authentiques de son histoire… Sauver l’homme : ce vœu est à la fois modeste et difficile ; modeste, dans un siècle où, sous une forme ou une autre, l’on ne parle que de dépasser l’homme, de le refaire, d’inventer un homme nouveau ; en vérité, de Marx à Nietzsche, de Mao Tsé-Toung à Teilhard de Chardin, quelle que soit la différence de style, de perspective, de précautions prises, il s’agit moins de récupérer l’homme concret hic et nunc que d’invoquer, dans le temps ou hors du temps, une sur-réalité transcendante à cet humain quotidien que nous sommes ; difficile, précisément, parce que tout ce que l’on invoque pour convaincre l’homme d’être autre chose et plus qu’il n’est, a la tonalité fascinante d’une promesse, celle de ces « lendemains qui chantent » ou de cette « Jérusalem invisible » qui séduit le cœur avant, et souvent même, contre l’esprit. » On ne peut mieux : et cette idée du défi de Hama, du rêve réaliste, me plaît et me semble devoir mener à des résultats plus potables que tout ce qu’on a pu voir, si l’on sait naviguer hors de ses ornières.