Notes sur un putsch (suite)
Nous sommes d’accord: le putsch de Niamey ne doit pas être toléré et le droit doit remplacer la force. Mais je comprends fort bien la colère des foules qui ont envahi la zone des ambassades aujourd’hui à Niamey et se sont époumonés contre la CEDEAO, l’UA, la France et les USA (je comprends moins leur appel à la Russie qui, au vu des actions de cet État en Afrique comme dans son propre voisinage, est de l’ordre de la faillite morale). Malheureusement, cette colère à ses justifications. J’ai écrit récemment, pour la New York Review of Books, un essai sur la “démocratie réprimée au Soudan”. Un intellectuel nigérien proche du pouvoir m’a dit que cela ne “nous parle pas” à nous, Nigériens. Et pourtant, le Niger aussi a son histoire de démocratie réprimée, et ce qui explose dans les rues de Niamey, avec l’irrationalité des foules en combustion, c’est un retour du réprimé.
Après les élections de 2021, qui, aux yeux des Nigériens, étaient frauduleuses - les plus effrontément frauduleuses qu’on ait jamais vues de l’avis d'une bonne partie des gens à qui j’en avais alors parlé dans le pays - j’ai essayé en vain de persuader un institut de la place d’accepter l’offre d’un organisme de coopération d’un État européen de financer une enquête post-mortem du scrutin, dont l’une des composantes serait d’évaluer sa crédibilité. Je le dis parce que, n’ayant pas fait cet exercice, et ne connaissant aucune étude à ce sujet, je ne peux pas faire plus que de rapporter la conviction majoritaire de l’opinion publique nigérienne, qui estime que ce scrutin avait été massivement frauduleux.
Il y a des anecdotes à ce sujet, certaines semblant relever de l’intrigue policière. Celle qui m’a le plus impressionné concerne un politicien junior de l’opposition qui m’a rapporté sa surprise d’avoir fait salle comble lors d’un meeting électoral à Diffa, région qui était censée être le fief du candidat Bazoum. “Ce n’était évidemment pas pour moi qu’ils étaient là, c’était pour montrer leur rejet du PNDS.” Un membre de la campagne de Bazoum me rapporta de son côté que son meeting de Diffa avait attiré si peu de monde qu’il en était sorti secoué et avait laissé entendre que la présidentielle était perdue, qu’il fallait plutôt espérer pour les législatives et envisager un gouvernement de cohabitation. (Cela, d’ailleurs, m’avait laissé penser que Bazoum était plus “démocrate” que son parti). Selon les gens au Niger, la fraude aurait été organisée surtout à Tahoua (fief du PNDS) et dans la région d’Agadez (qui a un côté far west).
Quoi qu’il en soit, que cette fraude ait été décisive ou pas, les Nigériens en sont convaincus et le pouvoir n’a rien fait pour les persuader du contraire. J’ai eu tendance à accepter cette opinion nigérienne.
Je me rappelle que j’étais alors de passage à Niamey et devais me rendre je ne sais plus où, probablement Ouagadougou. J’étais parti à l’aéroport assez tardivement, car c’était un vol sous-régional, donc peu achalandé. Mais à mon arrivée, je découvris à ma consternation une queue monstre: il s’agissait de contingents d’observateurs électoraux de l’UA et de la CEDEAO qui rentraient chez eux après avoir certifié que l’élection avait été libre et sincère. “Si vous saviez combien les Nigériens vous en veulent en ce moment,” songeai-je en les écoutant papoter gaiement à propos de leur expérience.
J’eus ensuite trois rencontres importantes qui valent la peine d’une mention. (Encore que, je passerai la troisième sous silence pour le moment).
L’une fut avec l’ambassadeur des USA, alors en partance. Il me posa des questions sur l’élection. Je lui dis qu’à mon avis elle était frauduleuse et volée, mais que les gens s’étaient résignés et commençaient à apprécier le personnage de Bazoum. Il ne me crut pas. N’ayant cependant pas d’arguments à m’opposer, il me fit part de sa propre expérience, notamment de ses visites dans des bureaux de vote. Cela me fendit le coeur, car j’eus l’impression qu’il avait été berné. Au bout d’un temps, je réussis à le convaincre lorsque je lui expliquai que (1) il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un parti perde les élections après dix ans au pouvoir sans avancées véritablement spectaculaires en quelque domaine que ce soit; et (2) dans tous les cas, lors des scrutins au Niger et dans les pays voisins, tous les candidats, majorité comme opposition, ont des techniques de fraude, mais celui qui est en place a mille fois plus de moyens que les autres pour assurer la réussite de ses techniques. En entendant ceci, son visage s’illumina, car le propos avait le poids de la logique. Mais il était sur le départ.
L’autre rencontre concerne une haute personnalité de l’UE avec qui j’ai été invité à échanger à La Haye, sous le sceau Chatham House. Je ne peux donc pas le nommer ni indiquer son poste. J’essayai de le convaincre que la démocratie nigérienne était très mal en point et que si l’UE voulait gagner les coeurs des gens, elle devait développer une stratégie d’aide aux contre-pouvoirs et à l’opposition. Je ne réussis qu’à mettre cette personnalité sur la défensive. Il se fit notamment, de façon volubile et un rien hostile, l’avocat des présidents Issoufou et Bazoum, bien que je ne les aie pas mentionnés. Il était manifestement sincère, mais bien moins disposé à m’écouter que l’ambassadeur américain: peut-être me soupçonnait-il d’être un opposant et d’être biaisé pour des raisons politiques.
Je mentionne ces rencontres pour souligner la déconnexion qui existait entre les représentants des pays occidentaux (et africains) et le sentiment commun au Niger, déconnexion que j’ai pu personnellement constater.
Cela n’excuse en aucune façon les violences dont une foule enfiévrée à menacé non seulement ces représentants — notamment en essayant de prendre d’assaut l’ambassade de France, en une répétition de scènes vues au Burkina Faso — mais également, dans un postage des réseaux sociaux, les citoyens de ces pays. Il y a des façons plus dignes et constructives d’exprimer son ressentiment et sa frustration, même si l’on peut soupçonner que de telles façons plus décentes ne seraient pas au goût de certains parmi ceux qui se sont installés au pouvoir à Niamey.