Coup d’État en Guinée, curieusement le premier coup d’État en bonne et due forme dans un pays dont on se dit, machinalement, qu’il doit en avoir connu, des putschs militaires.
Il a connu des tentatives de putsch, et une sorte de coup dans le vide (du pouvoir) exécuté en 2008, après le trépas de l’inénarrable Lansana Conté (celui-là même qui, une fois victime d’une tentative de putsch, déplora, lors de l’interview donnée par la suite, le fait que les putschistes en herbe aient dérobé son poste radio transistor), par le grotesque Dadis Camara (un troufion demi-analphabète qui avait autant sa place à la tête d’un État qu’une danseuse de Mapouka). Mais cela mériterait à peine un commentaire, n’était un certain aspect de la question qui me paraît vraiment problématique dans le monde comme il va.
En gros, ce coup illustre tout simplement la maxime que si vous préférez régner par la force plutôt que par le droit, attendez-vous à être débarqué par une force supérieure, un jour ou l’autre.
En 2019, Alpha Condé a fait ce que les Nigériens appellent un « tazartché », il a changé la constitution afin de pouvoir briguer un troisième mandat, et face à une population légitimement furieuse, il a déchaîné une violence inouïe (au bas mot, 90 morts, probablement plus), jouant à cette occasion dangereusement avec le feu ethnique – son principal opposant, Cellou Dalein Diallo, est peul, et on a pu constater des agressions malinkés contre des Peuls. Diallo a ensuite été transformé en une sorte de prisonnier public, pratiquement assigné à résidence.
Pour mater toute résistance future, Condé, suivant en cela les conseils de son ami feu Idriss Déby (un maître propagateur du despotisme en Afrique) a mis en place une soi-disant force spéciale anti-terroriste devant viser sinon d’inexistants djihadistes, au moins, paraît-il, des pirates de haute-mer. Sauf que leur plus signalé exploit fut plutôt de mater les anti-tazartché en 2020. Condé avait mis à leur tête un gros bras malinké, Mamady Doumbouya, débauché de la Légion étrangère (prestige et efficacité garanties, dans son esprit - à raison d’ailleurs, au vu du riche CV du personnage, qui ne comprend pas que son passage à la Légion étrangère).
Bref, violation de la constitution, massacre et persécution des opposants, assise du despotisme sur une force militaire spéciale, qu’on pense sous contrôle. Le tout, par un octogénaire incapable d’envisager une sage retraite et un quiet repos.
Comme dans tout système de ce genre, où les tendances politiques n’ont plus voie légale d’exister, il se crée, autour du despote, intrigues et factions nébuleuses, avec coups de couteau dans le dos et peaux de banane en veux-tu, en voilà. Selon ce que dit une rumeur qui enfle, le pied de Doumbouya, l’ex-légionnaire, aurait été posé sur une de ces peaux de banane (il aurait été menacé d’arrestation), et il a pris les devants, en vrai homme d’action (riche CV, etc.). Comme un pouvoir basé sur la force ne fait pas confiance à l’institution militaire, celle-ci avait été soigneusement séparée des forces spéciales. Doumbouya et ses acolytes ont ainsi, apparemment, foncé en camion sur une distance de 100 km, entre leur base et Conakry sans coup férir – et sans avoir à rendre compte à l’armée. Condé s’est fait prendre à son propre piège.
Tout cela était couru et pend au nez de tous ces chefs d’État d’Afrique de l’Ouest – surtout francophone – qui se comportent comme lui.
Et c’est là que se trouve le détail qui me turlupine.
Chaque fois, on assiste à ce type d’opération et c’est un chorus d’indignation, de condamnations, etc. Mais les commentateurs indignés et encore plus les organisations internationales ou régionales (genre UA, CEDEAO) ou les grands pays autoproclamés ne s’inquiètent jamais du comportement qui rend les coups d’État des choses auxquelles le premier militaire venu pense avec tranquillité et équanimité – et que la population, ou une partie d’icelle, ne se prive pas d’applaudir bruyamment.
Apparemment ce coup d’État n’a pas fait de mort. Un des putschistes encagoulés a même demandé à un Condé avachi sur un canapé de dire si on avait touché à un seul de ses cheveux, sur une vidéo WhatsApp virale (un de mes correspondants WhatsApp : « facile, il n’a pas un cheveu sur l’occiput »). Où étaient la CEDEAO et autres faiseurs de remontrances quand Alpha Condé organisait le meurtre de dizaines de ses compatriotes pour ne pas avoir à quitter Sékoutoureya (nom de la présidence guinéenne) ? La kryptonite des putschs, c’est le respect du droit. En Afrique de l’Ouest, singulièrement francophone, les chefs d’État sont allergiques au droit constitutionnel et politique. Fort bien, suit yourselves – mais le prix à payer, c’est le risque permanent du coup d’État. À vrai dire, je suis même tenté de dire : heureusement que ce risque existe. Car autrement, tous ces pays deviendront des Camerouns, des Gabons ou des Guinées équatoriales.
Sékoutoureya